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Anosmie et plaisir alimentaire

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Bonjour à tous,

 

Je suis diététicienne et en licence professionnelle. En pleine rédaction d’un projet sur les troubles de l’odorat et l’alimentation des personnes anosmiques, je me pose de nombreuses questions sur ce sujet. Je pense que vous êtes les meilleures personnes pour me répondre.

 

Les personnes qui perdent l’odorat, perdent-elle également le plaisir de manger ? Si oui, avez-vous mis des choses en place compenser ce plaisir olfactif perdu ?  Quelles sont les conséquences de cette perte d’odorat (psychique, alimentation)?  Quelle place a la sensorialité dans votre alimentation ?

 

Quel rôle, pensez vous que la diététicienne peut avoir dans la prise en charge d’une personne anosmique (partielle et totale) ?

Je vous remercie par avance de vos réponses,

 

Bien cordialement,

 

Maïlys MAITROT

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Bonsoir Maïlys,

 

Merci tout d'abord pour votre intérêt pour l'anosmie.

Perdre l'odorat c'est perdre 80% du goût. Le goût est composé de la retro olfaction, du nerf trijumeau et des 4 saveurs de base (sucré, salé, acide et amer) auxquelles on peut ajouter umami. Je vais maintenant vous parler de mon cas personnel. J'ai perdu l'odorat et il me reste le sucré, le salé, l'acide, l'amer. En revanche plus aucune possibilité de détecter la différence entre 2 chocolats, 2 fromages (sauf consistance différente), une eau chaude ou un thé à la menthe, de l'eau aromatisée ou bien de l'eau plate, etc.. je pourrai vous citer des dizaines d'exemples. Plus généralement, nous mangeons du carton sucré, salé, acide, etc.. Les repas deviennent donc une épreuve, un défi au plaisir et c'est à ce moment là que vous découvrez que le repas était AVANT tout une recherche de plaisir et qu'il devient facultatif (pour ma part, je ne mange plus le midi sauf si je déjeune avec quelqu'un, c'est dans ce cas un moment de partage avec un ami, une relation, mais le repas est purement anecdotique).

Lorsque vous perdez l'odorat vous découvrez aussi que l’appétit se construit avec les odeurs qui vous arrivent au nez, les odeurs du repas qui se prépare vous mettent en appétit, vous annonce le plaisir qui arrive au galop. Les repas se transforment donc en épreuve, certains maigrissent énormément, d'autres prennent du poids, nous sommes tous déréglés, en perte de repères et pour ma part j'achète beaucoup de choses qui semblent délicieuses (le marketing est très performant...) mais au final, pas de goût = déception. Mon alimentation est aujourd'hui très peu variée, je trouve un peu de plaisir à manger des soupes chinoises, du jambonneau pané, des cornichons, du saucisson sec, de la viande hachée avec des câpres (tartare), des noisettes, des amandes, des raisins secs, de la crème brulée, des tomates cerises, du coca. J'étais, avant, très gourmand, aujourd'hui ne faisant plus la différence entre les aliments j'ai pris l'habitude de gouter, gouter, gouter tout ce que je peux à la recherche du moindre plaisir. Je terminerai sur un exemple, la crème brulée pour moi c'est du froid à l'intérieur, du chaud sur le dessus, du sucre et du craquant en bouche, on approche la perfection...malgré l'absence d'arôme caramel, vanille, etc.. une certaine tristesse qu'il faut savoir gérer.

 

Mais, après plusieurs années d'anosmie (traumatique pour ma part) et quelques recherches sur ce goût perdu, il s'avère que le nerf trijumeau peut nous aider à retrouver quelques sensations. En effet, ce nerf, relié au système nerveux central doit faire l'objet d'un apprentissage. Cet apprentissage, pour tous les anosmiques (sauf les congénitaux) n'a pas été réalisé puisque la retro olfaction a pris la main sur la construction  du goût depuis leur plus jeune âge. Cet apprentissage doit donc se faire lorsque l'on devient anosmique, c'est très compliqué de devoir se placer dans la position de l'enfant... réfléchir à ce que l'on mange... ça c'est de la tomate, ça c'est du melon, du café, du pain, du chocolat. Je dois avouer qu'après quelques mois de travail, d'essai, d'abnégation, il est possible de retrouver quelques sensations, très faibles certes mais un certain plaisir à table et cela n'a pas de prix.

Je n'ai pas évoqué la détresse liée à la perte de l'odorat, vous trouverez sur ce site des témoignages de personnes en souffrance mais pour résumer ce que nous vivons, voici un bref aperçu :

L'anosmie, ce handicap inconnu, l'odorat, ce sens oublié

  • L'anosmie touche aujourd'hui 5% de la population Française (chiffres CNRS), soit plusieurs millions de personnes
  • Peu de recherches sur ce sujet et un corps médical mal informé sur les conséquences de ce handicap
  • Perdre l'odorat c'est perdre une vie entière de souvenirs
  • Perdre l'odorat c'est perdre l'odeur de ses proches, de ses enfants, de son conjoint mais aussi ses odeurs personnelles
  • Perdre l'odorat c'est être coupé de ces formidables odeurs du café, du repas qui se prépare, de la pelouse fraichement coupée, du printemps qui s'éveille, de la mer
  • Perdre l'odorat c'est aussi perdre 80% de son goût
  • Perdre l'odorat c'est être à la recherche de ses émotions
  • Perdre l'odorat c'est être enfermé sous une cloche de verre
  • Perdre l'odorat c'est douter de son hygiène à chaque minute
  • Perdre l'odorat s'est souffrir de troubles alimentaires sévères
  • Perdre l'odorat c'est souffrir de syndromes dépressifs dans 80% des cas
  • Perdre l'odorat c'est ne plus être capable de détecter des aliments avariés
  • Naitre sans odorat c'est s'enfermer dans le mensonge
  • Naitre sans odorat c'est devoir gérer, seul, un handicap dont personne ne parle

Et SURTOUT

  • Perdre l'odorat CE N'EST PAS AVOIR DE LA CHANCE DANS LE MÉTRO !

Cette réflexion très courante faite aux anosmiques est le simple résultat d'une société qui a oublié le sens de l'odorat, sa place, son importance dans la construction de chacun, un sens aux racines de nos vies, ce déclencheur d'émotions instantané.

 

Pour terminer sur votre interrogation au sujet de la diététicienne dans tout ça. Je dirai qu'elle doit nous accompagner dans cet apprentissage, dans cet effort à réaliser pour réveiller notre trijumeauet dans le même temps nous donner des conseils sur l'équilibre alimentaire à avoir en surveillant les étiquettes...

Cela étant, la difficulté de la diététicienne, souvent non formée à l'anosmie (je vous rassure personne ne l'est, la société Française, tout comme notre corps médical aux conséquences de l'anosmie) sera de comprendre ce handicap avant tout car il faudra gérer les contradictions suivantes :

 

Un anosmique préfèrera un repas TRÈS LARGEMENT déséquilibré mais avec quelques sensations plutôt qu'un repas équilibré sans saveur.

Maigrir ou prendre du poids, peu importe , il nous faut du plaisir à table, du craquant, du croustillant, du chaud, du froid, du piquant, du tendre, etc...

 

J'espère que ce petit résumé vous aidera,

 

Amicalement,

 

Jean-Michel

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Re-bonjour Jean Michel,

Je vous remercie de votre réponse si précise qui m'aide à compléter mes recherches pour mon projet tutoré et également de toutes les informations que vous avez pris le temps de me donner par téléphone.

Merci de m'avoir fait prendre conscience de ce que l' anosmie veut dire au sens large dans notre société.

Je retiens la belle force d'esprit et d'engagement que vous avez,

Bonne soirée,

Maïlys MAITROT

 

 

 

Psychologue / psychosociologue – Cabinet KAIROS Analyse 73 Rue de la Gare, 61100 Flers

 

Diététicienne – nutritionniste 53 Boulevard du Général de Gaulle, 61440 Messe

 

 


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