10 questions à ‘Julian’ – anosmique congénital

 

Bonjour à tous,

 

Des années passées à se poser des questions, quelques échanges de mails, voici ce qui a mené Julian à nous livrer son témoignage dans les lignes qui suivent… L’histoire authentique d’un anosmique congénital.

 


 

Bonjour Julian, ton témoignage est riche et précis, la grande famille des anosmiques s’y reconnaîtra, il permettra aussi aux normosmiques de mieux nous comprendre, tu as souhaité que cette interview soit anonyme.

 

Prêt ? 😉

 

Question n°1 : Peux-tu nous dire comment ton anosmie congénitale a été découverte ? À quel âge, à quelle occasion ?

Julian : Je me suis rendu compte vers l’âge de 6 ans à l’école primaire mais je n’en parlais pas, puisque je ne voulais pas être « différent » des autres enfants.

Un jour à la récré, un des garçons a dit « quelqu’un a pété ! «  Mais comment a-t-il su ? Puis j’entendais dire « qu’il puait » et autres phrases de ce genre. Et puis un jour, une des filles a dit qu’elle ne pouvait pas sentir parce qu’elle était enrhumée. Il n’y a pas eu de moqueries de la part des autres alors j’ai adopté cette excuse afin de m’éviter des ennuis.

C’est à l’âge de 14 ans que ma mère s’est inquiétée. Un soir, je faisais mes devoirs dans sa cuisine. Elle est revenue d’une course et le dîner était en train de brûler dans le four. Quelques temps après, la même chose est arrivée mais cette fois-là cela sentait le gaz. A cause de ces deux incidents, elle a pris rendez-vous avec notre médecin de famille pour lui en parler.

Ce dernier nous a écoutés et nous a donné une lettre pour un médecin à l’hôpital. Je pensais que c’était un « spécialiste ». il a lu la lettre et m’a dit « Alors, tu es le garçon qui pense qu’il n’a pas d’odorat ? » J’avais 14 ans, naïf, innocent et respectueux de l’autorité mais, pour la première fois dans ma vie, je me suis « rebellé » et j’ai répondu : « Non Docteur, je suis le garçon qui SAIT qu’il n’a pas d’odorat ! »

Inutile de te dire que le médecin n’a pas apprécié du tout et puis, il m’a demandé si j’avais le goût. Oui je l’ai. Alors, décris-moi le goût du poisson ! Mais ma rébellion était terminée et je ne trouvais pas les mots pour lui répondre.

Il nous a renvoyés en disant à ma mère que j’étais un enfant gâté…

 

Question n°2 : Comment as-tu organisé ton quotidien pour vivre avec ce handicap ? Y-a-t-il eu un impact sur ta vie professionnelle ? Sur ton rapport aux autres, aux femmes ?

Julian : Un soir à la même époque, je regardais la télévision avec mon père. Il y passait une réclame pour un déodorant. On voyait l’image d’une personne qui chuchotait dans l’oreille d’une autre personne et une voix « off » disait « B.O.  Personne ne vous en parlera ! «

« C’est quoi BO Papa ? « Sa réponse fut un véritable choc pour moi. Body Odour (Odeurs corporelles). C’est ainsi que pour la première fois de ma vie, j’ai compris que mon corps pouvait sentir mauvais. Mais comment j’allais faire pour sortir avec une fille et même l’embrasser ? Alors c’est à dater de ce jour que j’ai commencé à me laver tous les matins.

Jusqu’à là, je ne voyais pas très bien la nécessité de me laver. J’avais pris l’habitude de m’enfermer dans la salle de bains et de laisser couler l’eau quelques minutes pour satisfaire ma mère.

Sinon, sur le plan professionnel, je n’ai pas eu de problème.

 

Question n°3 : Comment la situation a-t-elle évolué au fur et à mesure que les années passaient, par quelles phases es-tu passé ?

 Julian : A partir de ce moment et jusqu’à mon mariage, il ne s’est rien passé de particulier. Mon épouse, qui est très attachée à l’hygiène, et devenue mon « nez ». Dès qu’un vêtement sent mauvais ou si je transpire etc elle m’en avertit. Je pense qu’elle a dû me sauver de quelques situations embarrassantes.

 

Question n°4 : Comment se passent tes repas aujourd’hui, ton rapport à la nourriture, au plaisir de la table ?

Julian : C’est l’éternel question. Est-ce que j’ai le goût ou non ? Je pense que oui. J’ai mes mets favoris et il y a des plats que je n’aime pas. Je peux distinguer entre différents fromages, viandes,  poissons,  vins etc. Cependant, je suis persuadé que mon goût est plus faible que celui des autres.

Un médecin ORL m’a dit un jour qu’il avait l’impression que ma nature utilise ma langue pour distinguer des goûts à la place de mon nez. « La nature a horreur du vide ».

 

Question n°5 : En parles-tu autour de toi ? A tes proches ? Dans ton travail ? Parviens-tu à sensibiliser les personnes à qui tu en parles ?

Julian : Oui, j’en parle sans gêne. Cela intrigue ma famille, mes amis et d’autres. Curieusement, la première réaction concerne presque toujours les mauvaises odeurs. Personne ne me dit « Quel dommage, tu ne sens pas les fleurs, les parfums, les vins » mais plutôt « Oh quelle chance, tu ne sens pas les excréments, les égouts etc. »

 

Question n°6 : La question est un peu compliquée mais l’anosmie t’a-t-elle apporté quelque chose de positif ?

Julian : Non. Mais j’ai une anecdote à te raconter à ce propos. Après mon mariage, je suis allé vivre en Israël avec mon épouse dans un kibboutz agricole où nous avons travaillé dans plusieurs secteurs. Un jour, on m’a affecté au poulailler pour nettoyer les rejets d’animaux et pour transporter les fientes par tracteur. J’étais seul et j’ai fait le travail avec assiduité.

Une fois terminé, je suis retourné au petit logement douillet qu’était le nôtre. Ma femme m’a dit qu’il y a avait une forte odeur désagréable et elle pensait que celle-ci venait de l’enclos à vaches qui se trouvait derrière notre bungalow. Elle a donc fermé les fenêtres mais l’odeur persistait.

C’est alors qu’elle m’a demandé sur quoi j’avais travaillé ce matin-là et elle a toute de suite compris. Mes chaussures étaient crottées et mes vêtements de travail imprégnés. Elle m’a « jeté » dehors et m’y a obligé à me déshabiller et à tout nettoyer.

Je me suis toujours demandé si cette tâche n’était pas une sorte de bizutage. En tout cas, c’était raté en ce qui me concernait !

 

Anecdotes : Sur cette question je te laisse la liberté de nous raconter des anecdotes, positives ou négatives, l’important sera que tout le monde comprenne bien ce que fut ta vie d’anosmique congénital.

Julian : A l’âge de 18/19 ans, je sortais avec une copine à Londres. Un jour, nous avons pris un bus pour nous rendre au centre-ville. Une dame modeste est venue s’asseoir à côté de nous.

« Changeons vite de place » me dit mon amie.

« Que se passe-t-il ? »

« C’est la vielle dame, elle sent mauvais »

« Mauvais comment ? »

« Tu le sais bien »

« Mais non, explique moi »

J’ai insisté pour avoir les détails mais je voyais bien que mon amie était dans l’embarras. Et elle a fini par me dire que l’odeur venait de l’entrejambe de la dame.

Une nouvelle « bombe » venait d’exploser dans ma tête. La partie intime du corps peut sentir mauvais mais comment faire pour se protéger contre cela ?

 

Question n°7 : Est-ce que tu te parfumes ? Est-ce que tu interroges tes proches sur ces ‘odeurs’ que tu n’as jamais connues ?

Julian : Non, je ne me parfume jamais. Je n’ai jamais utilisé de l’après rasage, ni aucun autre produit similaire.

 

Question n°8 : Que pourrais-tu conseiller aux anosmiques congénitaux ? À leurs parents pour aider leur enfant ?

Julian : Je n’ai pas de conseil particulier mais de grâce, écoutez votre enfant s’il vous dit qu’il ne sent rien. Ne le prenez pas pour un caprice d’enfant.

 

Question n°9 : Si tu devais me décrire ce qu’est une odeur, quels mots utiliserais-tu ?

Julian : Je ne peux pas décrire une odeur, n’ayant jamais senti mais je dirais que c’est une sensation reçue à travers le nez pour nous avertir d’un danger (le feu, le gaz, nourriture avariée) ou une sensation de plaisir (parfum, fleurs).

 

Question n°10 : Ton rêve dans 10 ans ? Pour l’anosmie ? Pour l’odorat ?

Julian : J’ai toujours espéré que le monde médical chercherait un remède mais je n’avais pas assez d’informations sur le sujet. Aujourd’hui je comprends que nous avons des récepteurs/capteurs olfactifs à la base du nez, qui transmettent des signaux au cerveau. Dans mon cas, soit je suis né sans capteur, soit les capteurs ne se sont pas développés normalement à la naissance.

Pourquoi ne pas imaginer un transplant ou des capteurs artificiels ? Il y a beaucoup de choses disponibles de nos jours qui n’existaient pas dans ma jeunesse.

 


 

Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour un nouvel article de ‘10 questions a…’

 

Vous pouvez bien évidemment laisser un commentaire, c’est anonyme, c’est gratuit, ça fera plaisir à Julian et ça fera avancer l’anosmie 😉 😉 😉

 

Et la vie continue,

 

Jean-Michel

 

Author: j2m

5 thoughts on “10 questions à ‘Julian’ – anosmique congénital

  1. Thomas 13 août 2019 at 23 h 30 min

    Bonsoir Julien,

    Quelle histoire incroyable, peu de gens savent ce que nous vivons et votre histoire en est la plus belle preuve. Merci pour ce témoignage, il met en lumière une facette cachée de ce handicap, je suis stupéfait.

  2. Jerome 30 juillet 2019 at 8 h 48 min

    Bonjour Julian,

    Un grand bravo et un grand merci pour ces quelques lignes. Je suis de très près l’association et cette rubrique est à chaque fois très intéressante, on y apprend des tas de choses. Je ne suis pas touché par ce handicap mais je connais quelqu’un qui l’est et je n’imaginais pas que ce soit à ce point handicapant. Courage à vous et un grand respect de ma part pour votre parcours et aussi le travail que fais Jean-Michel pour mettre en lumière ces troubles inconnus mais très perturbants pour ceux qui les vivent.

  3. Soula 29 juillet 2019 at 22 h 28 min

    Merci a Julian et a l’association, de la part de Laetitia, anosmique congenitale de 37 ans. Cela fait 3 ans a peine que j’ai fait un IRM qui a confirme le diagnostic. Jusque la je ne connaissais meme pas le terme “anosmique” et n’avais pas pris conscience que j’etais handicapee.
    Quelque part, cela fait du “bien” de voir que je ne suis pas la seule a vivre ca et que certains se mobilisent pour faire connaitre l’anosmie. Merci !

  4. Anonyme 29 juillet 2019 at 21 h 37 min

    Bonsoir Julian !
    Merci pour ton témoignage touchant et c’est bien d’avoir connaissance d’une autre forme d’anosmie… La mienne est survenue le 3 décembre 2016 à 52 ans au moment de mon anniversaire et suite à un accident (glissade piscine) et trauma crânien mais je me retrouve en bonne partie dans ton témoignage !!
    Merciii parce que je sais qu’il faut une certaine force et un certain courage pour parler de notre intimité… Je suis passée par là !!! Je suis certaine que nous pourrons trouver solution pour trouver et retrouver tous les plaisirs de la vie grâce au goût et à l’odorat… Amicalement. Nelly

  5. Anonyme 29 juillet 2019 at 19 h 22 min

    Bonjour Julian,
    Votre témoignage m’aide bcp car mon fils de 4 ans, souffrirait d’anosmie. Une irm cérébrale de contrôle, a soulevé l’éventualité d’une absence de bulbes olfactifs. J’ai vécu ça comme un terrible choc. Mais aujourd’hui, à travers votre témoignage, je me rends compte qu’il peut quand même éventuellement avoir le goût même s’il est propre à lui.. C’est un soulagement, je vous remercie et je souhaite de tout cœur que la médecine s’intéresse à ce handicap une bonne fois.

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