10 questions à ‘Marie-José M.’ – anosmique traumatique suite à des violences conjugales

 

Bonjour à tous,

 

C’est une envie de crier son histoire qui a poussé Marie-José à me transmettre son témoignage après quelques mois d’échanges de mails. Ses mots, ses douleurs résonnent… tant son histoire nous rappelle que les combats actuels pour la protection des femmes sont un mal profond de notre société et doivent impérativement être livrés, qu’une agression peut changer une vie à tout jamais.

 


 

Bonjour Marie-José, merci de partager avec nous aujourd’hui ton témoignage, il est bouleversant, tu as souhaité que cette interview soit anonyme.

 

Prête ? 😉

 

Je suis maintenant âgée de 72 ans, et je me sens jeune encore. J’ai subi un traumatisme crânien à l’âge de 37 ans, ce qui signifie que presque la moitié de ma vie a été vécue sans odorat et presque sans goût. Pour moi qui adorais cuisiner (j’ai même suivi des cours de cuisine à Paris alors que j’y ai vécu durant trois belles années)… ce fut un grand malheur. Une catastrophe, pour être franche.
Lors d’un voyage en Martinique et en Guadeloupe, j’ai été victime de voies de fait de la part d’un ex-conjoint. Commotion cérébrale. Je n’ai été vue par un neurologue que quelques semaines plus tard. Ne sentant plus rien, je croyais que je faisais une sinusite (j’y étais sujette) et que tout allait se replacer. Je souffrais aussi de vertiges en position allongée et cela a commencé à m’inquiéter. J’ignorais totalement que j’avais subi une commotion cérébrale, je n’ai pas été soignée sur place. Le neurologue (très respecté à Montréal à cette époque) m’a fait passer un scan pour vérifier la présence possible d’un hématome. Il n’y en avait pas. Il m’a expliqué que lors de l’incident, le choc à l’arrière du crâne avait fait se déchirer les filets nerveux qui relient le nerf olfactif au cerveau. Il m’a dit aussi que si ces nerfs n’avaient qu’été endommagés, je pourrais retrouver l’odorat en quelques années. J’ai espéré, en vain.
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Marie-José
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Pendant plusieurs semaines, j’ai eu dans la bouche un goût métallique très désagréable. Puis, cela s’est atténué. J’ai dû réapprendre à cuisiner, mais au début, ce handicap m’a surtout troublée au niveau de ma sécurité et de ma relation à autrui. Je dois dire que, même après tant d’années, je déteste me retrouver dans un groupe alors que la promiscuité me cause toujours un malaise, surtout s’il fait chaud. Est-ce que je dégagerais une odeur désagréable? M’étant retrouvée célibataire, j’ai continué à travailler dans le domaine des communications et relations publiques et ma perte de l’odorat m’a toujours inquiétée, jusqu’au jour béni où j’ai commencé à travailler comme travailleuse autonome en rédaction. Seule devant mon ordi, que je me sentais à l’aise !
Peu de gens connaissent mon handicap en dehors de ma famille et de quelques amis proches. Quelques-uns le banalisent. C’est un handicap invisible. Et je n’aime pas m’apitoyer sur moi-même. Alors j’en parlais et j’en parle encore le moins possible, en espérant que personne ne s’en rende compte. J’ai cessé de porter mon parfum, de peur d’en abuser. J’achète les meilleurs désodorisants, en me croisant les doigts pour qu’ils soient efficaces. J’ai déjà demandé conseil à l’une de mes sœurs et elle m’a dit que je ne devrais pas m’inquiéter car je suis très propre. Mais vous pourrez comprendre que cela n’est pas si simple.
 
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Souvent, j’ai eu envie de CRIER mon désarroi, ma frustration, ma détresse.
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Concernant la nourriture, j’ai eu le bonheur de rencontrer il y a dix ans  un monsieur délicat et prévenant et bon cuisinier en plus. Alors que je cuisinais surtout pour bien m’alimenter, il m’a aidée à redécouvrir le plaisir de mijoter de bons petits plats. Mes connaissances me permettent de réussir quelques merveilles, mais c’est lui qui doit vérifier l’assaisonnement au final… Évidemment, le fait de lui faire plaisir compte beaucoup lorsque je cuisine pour nous deux. J’apprécie les couleurs et les textures variées, l’alliage du sucré et de l’acide, donc la cuisine d’inspiration asiatique. Nous vivons chacun dans notre chez-soi mais quand il me rend visite, je lui demande de humer mon environnement… Et il me dit que je sens bon! Comment ai-je fait toute seule durant tant d’années?
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Mon handicap m’a menée à une forme d’hypervigilance, surtout durant toutes mes années de solitude et aussi à un certain évitement social.
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Pouvoir en parler, c’est une chose nouvelle et bien réconfortante. Bien sûr, il a fallu que je gère ma colère à l’égard de celui qui m’a blessée, mais c’est une autre histoire.
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Un grand merci à Jean-Michel et à ceux et celles qui peut-être me liront.
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Marie-José, une Québécoise très attachée à la France

 


 

Je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour un 1er bilan du lancement du protocole de rééducation avec déjà beaucoup de retours POSITIFS puis dans quelques semaines pour un nouvel article de ‘10 questions a…’

 

Vous pouvez bien évidemment laisser un commentaire, c’est anonyme, c’est gratuit, ça fera plaisir à Marie-José et ça fera avancer l’anosmie 😉 😉 😉

 

Et la vie continue,

 

Jean-Michel

 

Author: j2m


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9 thoughts on “10 questions à ‘Marie-José M.’ – anosmique traumatique suite à des violences conjugales

  1. Anonyme 4 décembre 2019 at 13 h 42 min

    Merci Nelly pour ton beau message! Il faudrait que tu viennes faire un tour au Québec… C’est vraiment aidant de pouvoir partager. Jean-Michel accomplit un travail remarquable. Courage! Marie-José

  2. Anonyme 4 décembre 2019 at 12 h 54 min

    Chère Marie-Josée,

    Je suis bouleversée par ton témoignage… quelle force, quel courage il t’a fallu pour arriver jusqu’à l’association, laquelle je pense peut réellement t’aider… Nous sommes tous là pour nous soutenir les uns les autres.

    Tes mots résonnent en moi car pour un bon nombre d’entre eux ils me correspondent… puisque c’est aussi ce que je vis, ce que je ressens depuis 3 ans… triste anniversaire hier 03/12 pour moi de mon accident (trauma crânien) qui m’a coûté le goût et l’odorat…

    Alors un grand MERCI à TOI et je suis heureuse de voir qu’aujourd’hui tu es bien accompagnée pour t’aider et te soutenir… nos proches nous sont très précieux !!!

    J’espère avoir un jour ou l’autre l’occasion de te rencontrer et de partager des moments avec TOI.

    Bisous et belle journée !

    Nelly

  3. Anonyme 28 novembre 2019 at 21 h 45 min

    Merci Hélène pour votre message attentionné. Oui, je suis en bonne compagnie maintenant! Marie-José

  4. Hélène 28 novembre 2019 at 21 h 03 min

    Marie-josé,

    vous êtes vraiment courageuse de témoigner , votre histoire ma glace et nous rappelle la fragilité de notre corps humain. j’espère que cet homme qui vous a blessé à vie a été puni. J’espère qu’aujourd’hui vous êtes en bonne compagnie. Moi je suis sans odorat depuis 12 ans suite à une mauvaise grippe m’a t’on dit, la vie est triste et je n’en parlais à personne, peut être une erreur. merci encore et aussi merci a Jean-Michel pour tout ce qu’il a construit, j’espère vous revoir bientôt.

  5. Anonyme 28 novembre 2019 at 18 h 34 min

    Merci à mon grand ami Yves. Marie-José

  6. Anonyme 28 novembre 2019 at 18 h 24 min

    À la lecture de ton témoignage, devant l’impossibilité de trouver les mots , seul le poème de Sully Prudhomme a soudainement surgi en ma tête….

    Le vase brisé

    Le vase où meurt cette verveine
    D’un coup d’éventail fut fêlé ;
    Le coup dut effleurer à peine :
    Aucun bruit ne l’a révélé.

    Mais la légère meurtrissure,
    Mordant le cristal chaque jour,
    D’une marche invisible et sûre
    En a fait lentement le tour.

    Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
    Le suc des fleurs s’est épuisé ;
    Personne encore ne s’en doute ;
    N’y touchez pas, il est brisé.

    Souvent aussi la main qu’on aime,
    Effleurant le coeur, le meurtrit ;
    Puis le coeur se fend de lui-même,
    La fleur de son amour périt ;

    Toujours intact aux yeux du monde,
    Il sent croître et pleurer tout bas
    Sa blessure fine et profonde ;
    Il est brisé, n’y touchez pas.

    Yves Bergeron

  7. Anonyme 28 novembre 2019 at 18 h 21 min

    Un grand merci Olivier et Fabrice, je suis touchée.

  8. Olivier Robbe 27 novembre 2019 at 9 h 20 min

    Il y a quelque chose de magnifique dans ce témoignage. La perte qu’à subi Marie José, sans compter le traumatisme, lui aussi souvent invisible une fois les hématomes résorbés a donné la chance a ses proches de développer leur odorat et leur goût ! Dois je le dire, on est souvent inconscients, nous normosmiques, de la chance que nous avons.
    C’est dans l’échange et l’écoute qu’on éveille nos consciences.
    Bon courage a notre grande cousine canadienne…

  9. Fabrice 27 novembre 2019 at 0 h 45 min

    Chère Marie-Josée,
    Merci et bravo pour ce témoignage touchant.
    Merci d’avoir si bien décrit la solitude qui entoure notre handicap et d’avoir également si bien expliqué qu’il est possible de vivre heureux avec, même si cela demande beaucoup de temps, de patience et d’apprentissage.
    J’imagine aussi votre colère quant aux circonstances de votre anosmie. La vie sait être injuste mais elle sait aussi nous donner des chances de nous reconstruire.
    Encore bravo pour le courage et l’optimisme dont vous avez fait preuve.
    Amicalement,
    Fabrice

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