Interview à RFI – Grand reportage sur l’anosmie

Bonjour à tous,

 

Fin 2019, Gabrielle Maréchaux était venu m’interviewer pour en savoir davantage sur l’anosmie et ses conséquences. Gabrielle Maréchaux est journaliste pour RFI. Vous trouverez ci-dessous le lien vers l’interview dans laquelle il est évoqué l’anosmie traumatique à travers mon histoire, l’anosmie virale à travers la pandémie de Covid-19 et l’anosmie congénitale à travers l’histoire de Maxime ( target=”_blank” rel=”noopener noreferrer”>voir sur Youtube) mais aussi, plus bas, l’article complet et détaillé publié le 13 avril 2020 sur le site de RFI.

 


Lien vers l’interview


 

C’est une pathologie peu connue qui fait désormais les grands titres des journaux : l’anosmie décrit l’absence d’odorat et fait désormais partie des symptômes fréquents du coronavirus. 85% des malades européens perdent ainsi la faculté de sentir, et découvrent souvent du même coup que l’odorat est un sens qui peut se perdre, que sa disparition s’accompagne d’une quasi absence de goût déconcertante. Méconnu, cet handicap sensoriel est pourtant plus fréquent qu’on ne le croit, les scientifiques estiment ainsi qu’entre 5% et 10% de la population aurait un odorat défaillant, un chiffre en augmentation avec le vieillissement de la population.

 

Ne pas sentir l’odeur de son conjoint, ne pas savoir si un vêtement est propre ou pas, ignorer si l’on doit changer un bébé… Vivre sans odeur comporte bien plus d’entraves que l’on imagine à première vue et ces difficultés du quotidien peuvent devenir une véritable souffrance quand elles s’installent avec le temps et quand l’anosmie devient irrémédiable. Mal vécu, cet handicap l’est alors d’autant plus qu’il est méconnu et complexe.

 

Mais pour comprendre ses origines diverses, il faut d’abord rappeler le cheminement d’une odeur : lorsque vous rentrez chez vous et découvrez en un instant, la clef à peine mise dans la serrure, que quelqu’un s’affaire en cuisine, c’est le fruit d’un enchaînement de transmissions : vous inspirez et des molécules odoriférantes présentes dans l’air pénètrent dans le nez et remontent en haut des fosses nasales. Elles entrent alors dans la muqueuse olfactive qui transforme la molécule en influx nerveux transmis au bulbe olfactif, partie du cerveau qui envoie un signal électrique au cortex orbitofrontal chargé de faire correspondre le signal reçu à cette odeur bien connue de soupe, de plat en sauce ou de gâteau qui cuit. Un homme de 30 ans qui a perdu l’odorat quand il était encore jeune enfant se rappelle d’une odeur marquante qui est celle de l’essence, liée à des images de départ en vacances et des souvenirs entre frères.

 

Ce mécanisme instantané est à l’origine d’un des premiers sens développés chez le fœtus, avant même la vue et l’ouïe, et il permet, quand tout fonctionne bien de pouvoir sentir jusqu’à 10 000 odeurs. Mais sur cette route jusqu’au cerveau, une odeur peut connaître des mésaventures à plusieurs étapes.

Elle peut d’abord être bloquée au niveau des fentes nasales, par un rhume, une rhinite, la présence de polype (une tumeur bénigne des muqueuses), ou bien parce que le nez ne laisse pas passer les molécules (suite à un coup, une chirurgie de la cloison nasale, une morphologie du nez).

À l’étape suivante, quand l’odeur arrive au bout des fosses nasales, elle peut ne pas atteindre le cerveau, car les cellules de la muqueuse olfactive sont abîmées, par exemple à cause de solvants comme l’acétone, de produits chimiques volatils respirés trop fort, ou bien d’un virus. L’animal est capable de remplacer des cellules endommagées en en produisant des nouvelles, d’après le neurophysiologiste de l’odorat Didier Trotier, la recherche n’a pas encore déterminé si l’espèce humaine pouvait faire de même.

Si une odeur a pu se hisser en haut des fentes nasales, entrer en contact avec les cellules de la muqueuse olfactive, il arrive qu’elle ne puisse pas aller plus loin vers le cerveau, car le bulbe olfactif n’existe pas (1 homme sur 10 000 et 1 femme sur 50 000 naissent sans) ou bien parce qu’il a été endommagé par une chute. Lors de traumatismes crâniens, les filaments qui relient le bulbe et la muqueuse peuvent en effet être sectionnés.

 

L’anosmie arrive parfois seule, elle peut aussi être parfois le syndrome de maux plus graves comme une tumeur cérébrale, d’un traumatisme psychologique ou d’une démence, ou encore de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. À ce propos, le professeur Tran Ba Huy, ORL responsable du service de l’Hôpital Lariboisière, dit se sentir pris par des dilemmes éthiques : « C’est toujours délicat d’expliquer à des patients qu’ils seront peut-être atteints d’Alzheimer dans environ six ans. »

Depuis l’arrivée du Covid-19, l’anosmie et l’absence de goût qui l’accompagne presque toujours est devenue un des symptômes les plus curieux de la pandémie mondiale. En effet, si l’anosmie peut souvent arriver dans les maladies provoquant une obstruction du nez, ce n’est pas le cas du nouveau coronavirus. Autre curiosité : l’anosmie est un symptôme principalement constaté en Europe, où, d’après la récente étude de l’ORL français Jérôme Lechien, elle est constatée chez 85% des malades interrogés. Enfin, les femmes demeurent plus touchées par ce symptôme que les hommes. Si, pour l’instant, la majorité des convalescents voient leur anosmie disparaître avec la maladie, comprendre d’où provient ce symptôme est encore un mystère. Pour certains chercheurs, ce serait après une affection de la muqueuse nasale par le virus, pour d’autres, le Covid-19 toucherait directement le bulbe olfactif.

 

Que peut-on faire pour soigner l’anosmie ?

 

Il existe à ce jour trois traitements principaux contre l’anosmie, mais aucun n’est effectif pour tout type d’anosmie et aucun non plus n’est efficace à 100%.

La chirurgie peut être envisagée pour enlever des polypes, si ces derniers sont la cause de l’anosmie. Un tiers des patients opérés retrouvent alors une partie de l’odorat.
En cas d’anosmie virale, des corticoïdes peuvent être pris, encore une fois sans aucune efficacité garantie, pour empêcher l’inflammation de la muqueuse.
Si l’anosmie est causée par une maladie virale ou un traumatisme, une rééducation peut être envisagée. L’odorat est un sens qui réagit en effet bien à ce que le professeur Tran Ban Huy surnomme une « gymnastique olfactive ». Plus on fait travailler son nez, mieux il sentira, c’est un phénomène qui s’observe de manière emblématique chez les professions où ce sens est clef comme sommelier ou nez, qui deviennent capables de reconnaître un millésime précis, la composition exacte d’un parfum à force d’exercice. Dans la même logique, une rééducation a été mise en place pour les anosmiques par le professeur allemand Hummel qui enjoint les anosmiques à respirer deux fois par jour pendant douze semaines des essences de rose, d’eucalyptus, de citron et de girofle en lisant bien le nom de l’odeur que l’on hume. Aucun chiffre n’existe pour quantifier la réussite de cette rééducation.

 

Pourquoi l’anosmie est-elle si peu connue ?

 

L’absence d’odorat semble paradoxalement pâtir des mêmes préjugés que le sens lui-même, négligé et souvent considéré comme inférieur aux autres.

D’après le professeur Tran Ban Huy, c’est une ignorance culturelle héritée des Lumières et de la psychanalyse ensuite, pour qui « sentir est assimilé au désir à l’instinct, bref à l’animalité ».

Dans un article scientifique qui dresse un panorama historique du mépris des odeurs, le professeur rappelle en effet que la hiérarchie des sens que proposent plusieurs philosophes piliers de la pensée occidentale n’est clairement pas en faveur de l’odorat : Kant oppose par exemple les sens objectifs (vue, toucher, ouïe) aux sens subjectifs (goût et odorat) et assurent du même coup, comme Descartes avant lui, que seuls les premiers peuvent amener à la connaissance. Invisible, éphémère, loin de l’abstraction des concepts, mais proche des instincts, l’odorat est également relégué à la dernière place de la hiérarchie de Buffon.

Les lumières n’ont pas d’odeur, et Freud semble sur ce point être leur digne héritier lorsqu’il débute ses travaux sur la psyché humaine en méprisant également ce sens . Pour lui, « le déclin du sens olfactif relève d’un processus civilisateur, d’un refoulement organique », « un développement civilisé normal suppose donc de renoncer aux plaisirs olfactifs de notre enfance », explique Patrice Tran Ba Huy.

Un cas en particulier explicite bien les préjugés des débuts de la psychanalyse envers le nez : celui d’Emma Eckstein, une jeune femme viennoise qui entre en contact avec Freud pour soigner des troubles dépressifs successifs à des abus sexuels. Ce dernier partage alors les idées de l’ORL Wilhelm Fliess avec qui il correspond beaucoup à la fin du XIXe siècle. Il en est alors convaincu : troubles sexuels et odorat sont liés, et confie la jeune femme à son confrère qui lui cautérisera le nez, et endommagea du même coup l’organe de la jeune femme.

Mais Sigmund Freud n’est pas le seul à considérer le nez comme la cause de tous les maux. Les hygiénistes de son siècle en sont également convaincus : c’est en humant l’air que des maux de tout genre se propagent. Ce rapprochement hâtif se retrouve dans la langue même, où « pestilence » a longtemps signifié tout à la fois une mauvaise odeur et une épidémie, soit le mal et sa cause supposée.

Retracer l’histoire de nos environnements olfactifs, comme l’ont fait les chercheurs Alain Corbin et Annick Le Guérer, revient alors à évoquer une grande chasse aux mauvaises odeurs que l’historien résume ainsi : « cette mystérieuse et inquiétante désodorisation qui fait de nous des êtres intolérants à tout ce qui vient rompre le silence olfactif de notre environnement. »

Quelle odeur voudriez-vous connaître ? Quel parfum vous manque le plus ? Questionner les anosmiques, c’est se rappeler à quel point les odeurs sont liées à l’intime et combien elles nous accompagnent au quotidien. C’est aussi mesurer ce que représente une vie « en noir et blanc » quand on a connu toutes les couleurs, pour reprendre une image qui revient fréquemment dans les propos de ceux qui ont perdu l’odorat, et des deux associations françaises d’anosmiques qui existent à ce jour.

 

RFI/Gabrielle Maréchaux

Lien vers l’article sur le site de RFI

 


 

Merci beaucoup Gabrielle,

 

Amicalement,

 

Jean-Michel Maillard

Author: j2m


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1 thoughts on “Interview à RFI – Grand reportage sur l’anosmie

  1. Olivier Robbe 15 avril 2020 at 11 h 28 min

    Je relaie bien sùr ce témoignage. Portez vous tous bien.

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